Week-end chargé sur la côte Atlantique Sud où j’étais ces derniers jours, comme beaucoup de gens pressés de déconfiner loin des grandes villes. Ce matin-là, je dois faire la queue plus d’une heure pour acheter du merlu, poisson qui se mange traditionnellement, comme en Espagne toute proche, avec de l’ail et de la tomate fraîche (mais qu’un cousin local qui rêve de Japon cuisinera au wasabi). Derrière moi, une urbaine stressée, venue télétravailler quelques jours, me somme d’avancer plus vite mais je ne veux pas me rapprocher trop d’un duo de copains régionalistes (à en croire leurs masques-blasons). Cherchant à faire rire la petite foule que nous, clients de la seule poissonnerie du village, formons, leur accent volontairement forcé m’empêche de lire l’interview d’un grand patron européen qui dirige son groupe depuis la France son pays de coeur même si ses racines sont au Portugal. En la circonstance poissonnière, la métaphore biblique des racines et des ailes m’apporte une élégance bien-venue.
Autour de moi, la moquerie prend de l’ampleur. Motif ? Un jeu couple, découvrant de toute évidence les lieux et les us et coutumes, trentenaires affichant sa coolitude et sa mixité culturelle (enfants métis en vue), vient de demander au poissonnier s’il n’aurait pas, par hasard, de la sauce barbecue pour aller avec le merlu. Barbarisme au pays du piment d’espelette ! Les deux locaux masqués s’esclaffent : Et pourquoi pas du ketchup pendant qu’ils y sont les parisiens… L’un d’eux cherche à me prendre à partie car j’ai l’air d’être d’ici. Je le suis en effet, par toutes les fibres des mes origines chéries, mais ne le suis plus lorsqu’il s’agit d’adhérer à la bêtise excluante. Je refuse donc de rire de l’hérésie culinaire, espérant à mon tour humilier l’humiliant. Heureusement, c’est à son tour d’être servi. Il prend tous les merlus qui restent (C’est la fête ce soir, pas de couvre-feu chez nous !) m’obligeant à changer de menu. Ça tombe bien car soudain – et malgré le bilan carbone -, les crevettes bio du bout du monde m’appellent irrésistiblement.
Le mot « Racine » vient d’un vieux verbe latin signifiant « s’élancer à partir du sol ou d’un socle ». La racine par définition, ça pousse. Et toujours vers le haut. Sans cet élan, la racine ne devient plus qu’une souche : inerte, sans âme. Une bûche.
Crédit photo : Xavier Carrère, Installation « Brancusi dans les Landes »
Mariette Darrigrand