Voilà un mot qui en quelques jours est passé du registre le plus frivole au registre le plus dramatique. Un masque, habituellement, c’est un de ces petits produits que nous achetons, par impulsion, dans une grande surface. Parfois sérieux – il s’agit de protéger, renourrir, regénérer notre peau – , le plus souvent ludique… Très consommatrices, les jeunes femmes s’amusent avec ces crèmes fruitées, se déguisent le visage, s’instagrammisent entre copines…
La fantaisie et les couleurs des packagings des beauty masks prouvent que l’une des plus vieilles analogies n’a pas pris une ride. La peau féminine est plus que jamais peau de pêche, pétale de rose, pomme vermeille… Eve ou Blanche-Neige, le savaient déjà… Ce miroir entre l’humain et la nature est universel : la cosmétique venue d’Asie, en particulier de Corée du Sud – cette Italie asiatique – ne fait que renchérir : éclat du cerisier en fleurs, blancheur laiteuse de la lune, jaune oranger de la racine…
Evidemment, cette inscouciance n’a plus cours depuis quelques jours, et c’est le masque chirurgical qui a pris la première place. Blanc ou Bleu, couleurs hygiéniques, il sert d’abord à filtrer… Rare, il est précieux et prouve que le réel a repris ses droits. Fin de la mascarade – mot d’ailleurs de la même famille : une famille italienne…Pensons aux masques magnifiques, dont Venise s’est faite la grande spécialiste…
Le grand BOCCACE aurait été le premier à utiliser le mot dans son célèbre Décameron, qui raconte le confinement, durant la peste noire de 1348 à Florence, d’un groupe de jeunes qui, se racontent chaque jour des histoires d’amour, d’amitié, de confiance, et aussi de défiances, trahisons… Masques et bergamasques…
Le mot italien Maschera désigne au départ le tissu noir qui cache le visage de l’attaquant – bandit, brigand… -, pour qu’il reste anonymous…
Notre mascara en est l’héritier : petite touche de black chic qui sait allonger les cils… Un détail dérisoire certes par les temps qui courent, mais qui permet aussi, symboliquement, de garder l’œil ouvert, de protéger notre sensibilité à la beauté, à la vitalité, à l’éros comme on disait au Moyen-Age…
Mariette DARRIGRAND