L’épidémie est sous contrôle nous dit la voix gouvernementale. Under control, terme qui revient souvent dans les films d’action. Dans les dystopies, ces utopies malheureuses, c’est précisément l’impossibilité humaine de contrôler les envahisseurs – barbares, zombies ou virus – qui crée tous les problèmes.
A beaucoup d’égards, la crise sanitaire est due à un dysfonctionnement des systèmes de contrôle : mauvaise gestion des stocks, des transports, des contacts. L’ordre doit être rétabli par une organisation vertueuse dont le moindre maillon faible a été sécurisé par la précision technique.
Dans cette vision, « Contrôle » retrouve son sens médiéval. Au Moyen-Age, être contrôlé, c’était voir son nom inscrit sur le Rôle, c’est-à-dire le Rotulus : un parchemin sur lequel étaient notée en particulier l’identité des soldats ou des gens de théâtre.
Cet enrôlement dans une troupe se retouve dans notre attestation de domicile sans laquelle nous ne pourrions pas sortir. Plus largement, dans tous ces formulaires d’inscription que nous remplissons en ligne. Data sous contrôle que nous pourrions appeler, comme jadis, des rotulaires.
L’Etat contrôleur – des impôts ou des corps – est celui à qui Michel Foucault reprochait son bio-pouvoir. Aujourd’hui, avec l’émergence d’une médecine logistique, prédictive, génique, ce pouvoir sur la vie peut devenir un pouvoir pour plus de vie.
Une forte condition à cela : que le citoyen joue pleinement son propre rôle.
Nous retrouvons alors la même racine, puisque rotulus est aussi à l’origine de ce mot.
Pas de rôle sans contre-rôle. Pas de contrôle sans rôle.
Mariette Darrigrand